Ils avaient fixé le rendez-vous un mercredi, à midi. Il lui avait demandé d’acheter une bouteille de vin ; elle avait d'abord voulu obtenir quelques précisions : du blanc, du rouge, du rosé ? Elle ne connaissait rien à l'alcool, elle ne buvait jamais. Du rouge- avait- t- il dit.
Chez Monop’, son magasin préféré, sa résidence secondaire, son refuge, son passe-temps favori, elle avait passé plus d'une demi-heure à évoluer dans le rayon concerné, si ce n’est même plus. Elle avait fait son choix en fonction du prix. C'était le vin le plus cher. Comme d’habitude, excessive, elle avait souhaité qu’il se sente privilégié, comme un invité d’honneur ou quelque-chose de cet ordre.
Elle avait décidé de dissimuler la bouteille au fond de son sac, afin de mettre une bonne dose d’adrénaline dans ses veines et, probablement aussi, afin de ménager ses moyens.
" Femmes et ivresses " : tel était le thème de la séance de pose. Cela s'accorderait parfaitement bien.
Ensuite, elle avait continué à errer entre les différents rayons, en se posant des questions existentielles sur la qualité de tel ou tel produit, sur sa composition ou, encore, sur les avantages et inconvénients de telle ou telle marque. Lors de son passage en caisse, la caissière avait compté des oignions et des mouchoirs en papier. L'arrangement était suivant : "je réalise tes portraits et, en échange, tu poses, nue… …La beauté n’est pas là où tu la crois…"- avait-il opposé à ses réserves.
Elle avait mis un an pour se décider ; elle n’avait l’habitude d’offrir son corps qu’à ses amoureux, le plus souvent absents ou, encore, accidentellement, à des amants de passage, émerveillés. Il était arrivé. Ils avaient un peu discuté. Il avait ouvert la bouteille, avait trouvé le vin très bon. Elle lui avait rappelé, en soignant le débit et l’intonation de sa voix, afin d'être dans la rondeur et la douceur, qu’un an, déjà, s'était écoulé depuis leur dernière entrevue. Il ne paraissait pas en revenir : un an déjà, comme le temps passe vite.
Il l’appréciait, mais la trouvait beaucoup trop triste pour une fréquentation régulière. Elle pensait que c’était la raison de la rareté de leurs entrevues. Le soleil avait envahi l’espace. Les rayons, clairs, avaient investi l’appartement. Comme le temps était beau ! La séance avait commencé. Elle aimait les objectifs photographiques. Elle était fascinée par l’image ainsi obtenue. Il avait réalisé quelques portraits d'elle, peu, ce n'était pas le motif du visage qui l'intéressait. “Maintenant, tu te déloques”, lui avait-il dit. Il était un peu tendu. Elle était un peu tendue. Elle ne voyait plus rien, que l’objectif de l'appareil photographique. Un flot, rouge, de mots, s'était alors emparé d’elle, saignant de tout son mal-être, de tout son manque d’amour. En évoquant un chagrin récent, elle était devenue ivre de larmes.
Il écoutait, analysait ce qu'il entendait et voyait, avec la finesse dont seul un être doué de sa sensibilité semblait pouvoir faire preuve. Il la trouvait très belle, du moins l’avait-il dit. Pour la série « Femmes et ivresses », l’agent artistique avait choisi une image d’une femme, déchirée, en parfait état de sobriété.
Olga Derlaka
Commentaires